Thank you...
Un jour, il y a deux ou trois ans, j'ai évoqué Ferré sur une page perdue de la toile. Une réponse m'a touché. La personne s'appelait Poussière et ses mots étaient les suivants :
"Je me souviens de l'annonce de sa mort au journal télé du soir. J'avais 10 ans et j'étais en vacances dans un hôtel du sud.
Ecran bavard auquel personne ne prête attention et puis soudain, images de cet homme échevelé qui crie, qui crache ses mots sur une scène. C'était la première fois que je le voyais et cette vision m'a fait un choc... Déjà, les adultes s'attroupaient autour de l'écran funèbre, "Quoi? Ferré est mort? C'est pas vrai?!.."
Au milieu de cette marée humaine, je trouve la main de mon père.
- Tu le connaissais, papa?.
- Oui, c'était un grand poète. Très grand. Je te le ferai écouter un jour.
Ferré, ce sont des mots et une voix, une diction qui ne laissent pas insensibles, qui ne peuvent laisser indifférents..."
J'ai marché dans la nuit sans me lever de mon siège. Ma main se tendait vers le cendrier pour y déposer les cendres de mes cigarettes et les volutes de fumée s'élevaient vers toi qui regarde écrire tous ceux qui posent des mots sur le papier, vers toi qui regarde les vrais, ceux qui savent mais qui ne veulent pas faire partie des sages, ceux qui ont le bonheur pudique et le chagrin extrême : les anarchistes, ceux qui savent que l'on ne pourra plus changer le monde, ceux à qui les armes ne servent qu'à se souvenir qu'un jour le champ du possible a été accessible aux Hommes. Tu disais qu'avec le temps, tout s'en va mais la tristesse reste, la douleur est une plaie qui ne se panse qu'à coup de vie et de distraction. Je ne suis pas assez vieux pour savoir si l'amour s'en va avec le temps et peut-être qu'un jour, je repenserai à ce que tu disais, peut-être qu'un jour, je me dirai moi aussi qu'avec le temps on n'aime plus.
Je laisserai les fous croire en la révolution, je laisserai les utopistes penser que l'Homme est capable de se suffire à lui-même et je viendrai vers toi, lors du dernier instant, pour me remémorer encore un peu ce qu'est le temps, ce qu'est la vie, la pensée et les convictions. J'aime te regarder avec tes cheveux blancs cracher tes mots à la gueule du micro, j'aime ta bouche qui hurle tes haines et tes amours à la face du monde, j'aime tes yeux qui pleurent les convictions qui font ce que tu es, j'aime ta violence et ta douceur, j'aime ton désespoir et j'aime les fissures au fond de ton cœur que tu as colmatées le quatorze juillet.
Les volutes de fumée s'envolent vers toi et tu regardes le monde. Une seule lumière est allumée et je pense à Baudelaire, à Aragon, à tous ceux qui jadis ont embelli tes rêves, embelli ta voix. Je pense à tes mots, aux Anarchistes – Ni Dieu ni maitre – et au nageur dans son berceau. Je pense aux enfants qui t'ont découvert – comme moi – trop tard pour te connaître et je pense à ceux qui ont eu la chance insolente de pouvoir te parler, de pouvoir subir tes colères.
Parfois, j'écoute ta voix. Tes chansons. D'autres fois, je ne fais que lire tes textes. Souvent, je te regarde chanter et je te trouve beau. Je me demande aussi ce que tu ferais, aujourd'hui, si tu étais encore là. Je me demande comment tu réagirais aux inepties du monde, à la politique qui est toujours aussi dégueulasse horrible, une vaste fumisterie, encore plus qu'avant.
Voilà. Dors tranquillement. Je n'ai pas voulu te réveiller trop longtemps. Juste pour que tu saches mon admiration et la grandeur que tu incarnes encore aujourd'hui, dans ton éternelle immortalité.